Le Plan de Sauvegarde de l’Emploi présenté par l’entreprise prévoit la suppression de tous les emplois des salariés de 70 ans et plus.

Cette mesure, qui impacterait 1 478 personnes, est elle possible ?

On nous annonce qu’« un employeur dispose de la faculté de prendre la décision de mettre unilatéralement un salarié à la retraite dès lors que ce dernier a atteint l’âge de 70 ans. »

Tout d’abord, cette mesure ne s’appliquerait qu’à effet de septembre 2024 au minimum sans compter le préavis et rien ne dit aujourd’hui qu’elle s’appliquera. Le P.S.E. n’est aujourd’hui qu’un projet.

La direction s’appuie sur les dispositions de l’article L1237-5 du Code du travail qui prévoit :

« La mise à la retraite s’entend de la possibilité donnée à l’employeur de rompre le contrat de travail d’un salarié ayant atteint l’âge mentionné au 1° de l’article L. 351-8 du code de la sécurité sociale sous réserve des septième à neuvième alinéas… »

Comprenez ici que la procédure s’applique aux salariés ayant atteint l’âge d’obtention d’une retraite à taux plein.

« Avant la date à laquelle le salarié atteint l’âge fixé au 1° de l’article L. 351-8 du code de la sécurité sociale et dans un délai fixé par décret, l’employeur interroge par écrit le salarié sur son intention de quitter volontairement l’entreprise pour bénéficier d’une pension de vieillesse.

En cas de réponse négative du salarié dans un délai fixé par décret ou à défaut d’avoir respecté l’obligation mentionnée à l’alinéa précédent, l’employeur ne peut faire usage de la possibilité mentionnée au premier alinéa pendant l’année qui suit la date à laquelle le salarié atteint l’âge fixé au 1° de l’article L. 351-8 du code de la sécurité sociale.

La même procédure est applicable chaque année jusqu’au soixante-neuvième anniversaire du salarié. »

En clair :

On ne peut pas mettre un salarié à la retraite deux fois ! Ces dispositions ne visent que les salariés qui ne sont pas déjà à la retraite.

De plus, pour appliquer les dispositions de mise à la retraite d’office, la société peut faire usage des dispositions de l’article L. 122-14-13 du code du travail qui précise que lorsque les conditions de la mise en retraite sont remplies, la rupture ne constitue pas un licenciement. Si l’employeur qui envisage de mettre des salariés à la retraite à l’occasion de difficultés économiques doit observer les dispositions relatives aux licenciements économiques en ce qu’elles impliquent la consultation des représentants du personnel et la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi lorsque les conditions légales en sont remplies, il n’en résulte pas que la décision de mise à la retraite prise par l’employeur entraîne les effets d’un licenciement.

Volontairement, la direction entretient une ambiguïté en indiquant qu’il s’agit de « mise à la retraite d’office pour raisons économiques », ce qui n’existe pas, soit, ce sont des mises à la retraite d’office de salariés qui ne sont pas encore à la retraite, soit ce sont des licenciements économiques.

Cette volonté serait donc à comprendre comme un critère de licenciement économique indiquant que tous les salariés âgés de 70 ans et plus, déjà retraités, seraient, par défaut, affectés au contingent des personnes licenciées.

Mais ces dispositions ne sont aucunement applicables à la situation des salariés de Milee qui sont déjà à la retraite et sont en situation de cumul emploi-retraite puisqu’ils ont déjà liquidé leurs droits à la retraite et ne peuvent être mis à la retraite deux fois.

Tout ça n’est pas très sérieux et constituerait à l’évidence une forme de discrimination liée à l’âge.

Il est surprenant que Milee ne le sache pas. Soit la société est mal conseillée soit elle se dit comme souvent que plus c’est gros, plus ça passe et que « ça fera durer le plaisir » un peu plus. Nous penchons pour la seconde solution.

Il nous parait surtout peu probable que cette mesure passe la validation et l’homologation des services de l’état.

D’une manière générale, refus d’embauche ou de promotion, « mise au placard », incitation au départ… Les plus de 50 ans, sont régulièrement victimes de discriminations liées à l’âge. Pourtant, au même titre que le sexisme, le racisme ou l’homophobie, « l’âgisme » est interdit par la loi et passible de 3 ans de prison et de 45 000 € d’amende.

Les victimes ont la possibilité de saisir les prud’hommes, l’inspection du travail ou le défenseur des droits.

Il faut toutefois se situer ici dans le domaine du droit du travail uniquement.

Que dit précisément ce droit ?

L’article L1132-1 du code du travail, indique que :

« Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de nomination ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d’horaires de travail, d’évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d’un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de sa qualité de lanceur d’alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d’alerte, au sens, respectivement, du I de l’article 6 et des 1° et 2° de l’article 6-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. »

Ce texte parait tout à fait clair.

Cependant, une directive européenne du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail vient semer le trouble :

Elle indique en particulier que « les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre :

a) la mise en place de conditions spéciales d’accès à l’emploi et à la formation professionnelle, d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d’assurer leur protection; « 

Cette directive, semblerait donc indiquer que certaines discriminations seraient possibles lorsqu’elles sont justifiées « par un objectif légitime » et « en vue de favoriser l’insertion » ou « d’assurer leur protection« .

Elle limite toutefois l’existence de ces différences à cadre du « droit national » et donc de la loi, éliminant ainsi la possibilité d’y recourir par accord ou convention.

Nous ne nous prononcerons pas sur le caractère légitime qui est évidemment vécu différemment selon qu’on se place du côté du salarié ou de l’employeur, mais il convient de se poser la question de savoir si la « discrimination » proposée par milee dans le P.S.E. favorise l’insertion du salarié de 70 ans ou plus, licencié ou si elle assure sa protection.

À l’évidence, ce n’est pas le cas.

En droit français, cette décision européenne est traduite dans l’article L1133-1 du Code du Travail :

« L’article L1132-1 ne fait pas obstacle aux différences de traitement, lorsqu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée. »

Le licenciement des salariés âgés de 70 ans et plus est elle une « exigence professionnelle essentielle et déterminante dans le cadre d’une exigence proportionnée » ?

En France, dans une décision de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, une situation d’une entreprise proposant de réduire les indemnités de départs supra-légales pour les salariés âgés de plus de 58 ans licenciés dans le cadre d’un PSE au motif qu’ils pourraient bénéficier d’indemnités chômage jusqu’au départ en retraite avait été déclarée contraire au principe d’interdiction des discriminations en raison de l’âge défini à l’article L.1132-1 du Code du travail.

Elle indiquait alors que « l’objectif poursuivi par la société mise en cause en matière d’indemnisation du licenciement ne peut être considéré comme légitime au sens de l’article L. 1133-2 du Code du travail. » qui dispose :

« Les différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées par un but légitime, notamment par le souci de préserver la santé ou la sécurité des travailleurs, de favoriser leur insertion professionnelle, d’assurer leur emploi, leur reclassement ou leur indemnisation en cas de perte d’emploi, et lorsque les moyens de réaliser ce but sont nécessaires et appropriés.

Ces différences peuvent notamment consister en :

1° L’interdiction de l’accès à l’emploi ou la mise en place de conditions de travail spéciales en vue d’assurer la protection des jeunes et des travailleurs âgés ;

2° La fixation d’un âge maximum pour le recrutement, fondée sur la formation requise pour le poste concerné ou la nécessité d’une période d’emploi raisonnable avant la retraite. »

Dans le cas de Milee, le cas est assez similaire puisqu’il s’agit d’indiquer que les personnes âgées de 70 ans et plus doivent bénéficier d’une retraite ou d’une pension et qu’ils seraient, à ce titre, moins impactés financièrement par la rupture du contrat de travail que les salariés « actifs » qui n’auraient pas cette garantie financière permanente.

Milee se base sur un article de la convention collective (16-2) de la distribution directe qui a été signé en 2005 et qui indique :

« Lorsqu’une entreprise est dans l’obligation d’opérer des licenciements de personnel, elle s’efforce de porter ses premières compressions sur les membres du personnel de la catégorie considérée pouvant prétendre à une garantie de ressources au titre de la retraite, sans préjudice des dispositions de l’article L. 321-1-1 du code du travail. »

Étant précisé que l’article L321-1-1 du Code du Travail, cité ci-dessus, a été abrogé en 2008, mais indiquait à l’époque de la signature de la convention collective :

« Dans les entreprises ou établissements visés à l’article L. 321-2, en cas de licenciement collectif pour motif économique, à défaut de convention ou accord collectif de travail applicable, l’employeur définit, après consultation du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, les critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements. Ces critères prennent notamment en compte les charges de famille et en particulier celles de parents isolés, l’ancienneté de service dans l’établissement ou l’entreprise, la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment des personnes handicapées et des salariés âgés, les qualités professionnelles appréciées par catégorie.

La convention et l’accord collectif de travail ou, à défaut, la décision de l’employeur ne peuvent comporter de dispositions établissant une priorité de licenciement à raison des seuls avantages à caractère viager dont bénéficie un salarié. »

Cet article du code du travail a été abrogé par ordonnance du 12 mars 2007 qui a créé l’article L.1132-1 cité plus haut.

Ce nouvel article supprime donc le second paragraphe de l’ancien article L.321-1-1 et le fait que l’employeur ne peut pas utiliser un critère de licenciement lié à un « avantage viager dont bénéficie un salarié« , c’est à dire une pension, une retraite ou une rente mais a réintroduit cette disposition dans un nouvel article du code du travail, L.1233-6 en vigueur depuis le 1er mai 2008 :

« Les critères retenus par la convention et l’accord collectif de travail ou, à défaut, par la décision de l’employeur ne peuvent établir une priorité de licenciement à raison des seuls avantages à caractère viager dont bénéficie un salarié.« 

Milee se prévaut désormais de dispositions plus anciennes mais sa volonté se heurte donc à plusieurs écueils.

D’abord, sur le plan humain, car si de nombreux salariés (1 478) de 70 ans et plus travaillent chez Milee, ce n’est pas seulement pour sortir, voir du monde et marcher ou encore, comme le disait l’ancien P.D.G. d’Adrexo et aujourd’hui actionnaire de Milee : « Honnêtement, j’estime qu’Adrexo rend service à ces gens : grâce à ce boulot, ils se maintiennent en forme en économisant un abonnement au gymnase club. Rémunérés pour faire du sport : il n’y a pas de quoi crier au servage.« 

Ce n’est bien entendu le plan humain qui intéresse nos dirigeants.

L’article de la convention collective n’indique pas d’obligation, mais juste que l’entreprise doit « s’efforcer » de porter ses premières compressions de personnel sur les salariés retraités. On, pourrait par exemple envisager que des volontaires pourraient bénéficier d’un départ négocié avantageusement et prévu dans le plan de sauvegarde de l’emploi.

Ensuite, on nous indique que la moyenne d’âge de ces salariés de 70 ans, et plus, serait de 77 ans. On peut se poser la question de savoir pourquoi imposer cette barrière d’âge et ne pas l’étendre à tous les salariés retraités ou déterminer l’âge limite à 69 ou 67 ans… Si l’objectif est de respecter l’article 16-2 de la convention collective, pourquoi ne pas le faire totalement, tous les salariés retraités ayant potentiellement accès à un revenu permanent et pas seulement ceux de 70 ans et plus.

Loin de nous le souhait de voir licencier tous les retraités, mais la question est de savoir si cette discrimination entre ceux de moins de 70 ans et les autres est légale.

Car, même si elle profite aux salariés de moins de 70 ans, et constitue une discrimination « positive » pour eux, il s’agit tout de même d’une discrimination.

La hiérarchie des lois implique la prédominance de la loi, ici, le Code du Travail, sur les conventions collectives et les conventions ou accords collectifs.

L’article de la convention collective qui vise à « s’efforcer » de viser les salariés « pouvant prétendre à une garantie de ressources au titre de la retraite » semble donc contraire à la loi et devra, de ce fait, être réputé non-écrit et se trouve inapplicable dans le cadre du P.S.E. proposé à la négociation par Milee.

Insérer, dans un P.S.E., une priorité de départ des retraités à raison des seuls avantages à caractère viager dont bénéficie les intérressés, est en contradiction directe avec les textes insérés dans le code du travail en mai 2008 Article L.1233-6).

Ces multiples motifs permettant de contester la mesure proposée semblent permettre d’envisager qu’elle ne puisse pas s’appliquer.

Une nouvelle raison qui nous confirme que Milee, qui ne peut véritablement ignorer ces contraintes, « baladent » les organisations syndicales dans une procédure et un projet qui ne sont pas sérieux et visent juste à prendre date et à préparer autre chose et faire croire que l’on a pris les mesures nécessaires, mais sans doute trop tard….

Cet article peut sembler un peu long, mais nous tenions à expliquer notre position et à l’argumenter pour donner aux salariés concernés tous les éléments et que chacun puisse comprendre et vérifier les informations. Comme à l’habitude, nous ne tentons pas d’imposer une manière de penser, mais expliquons pour que chacun puisse se faire une idée personnelle.

Enfin, la direction reproche à des organisations syndicales de trop informer les salariés sous couvert d’une prétendue confidentialité d’informations.

Il convient de rappeler tout d’abord que tout ce que dit ou écrit la direction ne peut pas être confidentiel et qu’il appartient à cette même direction d’indiquer ce qui est confidentiel et ce qui ne l’est pas. Tout ne peut pas être confidentiel.

Elle semble découvrir également que ce type de projet massif de suppression d’emploi a un impact sur l’image de l’entreprise auprès des clients et que la responsabilité sociétale de l’entreprise est aussi un élément important dans un monde ou le consommateur est de plus en plus attaché au respect de certaines valeurs.

En ce qui nous concerne, nous assumons pleinement nos communications et soutenons nos collègues qui font de même. C’est tout même le minimum pour une organisation syndicale que d’informer les salariés des projets importants à venir surtout quand ils impactent l’emploi lui-même. C’est tout de même aussi très légitime qu’une organisation syndicale digne de ce nom utilise tous les leviers possibles pour contrer des projets dévastateurs et totalement incohérents.

Nous ne pensons pas que les salariés nous attendent sur le terrain du laxisme !

Il ne faut pas espérer nous trouver comme défenseur d’un projet de destruction d’emplois surtout lorsqu’il est le fruit exclusif des fautes de gestion de nos dirigeants et aucunement le résultat du travail du personnel. Nous mènerons donc le combat sans ambiguïté mais « avec la puissance de feu de croiseur et des flingues de concours... » et surtout avec tous les moyens possibles contre ce projet et pour la défense de tous les salariés.


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