Moyens de preuve : évolution notable des possibilités

La Cour de Cassation a opéré un revirement complet de sa jurisprudence pour s’adapter au droit européens.

Désormais, des moyens de preuve qui peuvent apparait comme déloyaux peuvent être accepté.

En assemblée pleinière le 22 décembre 2023, la Cour de Cassation a indiqué désormais admètre dans le domaine du droit civil, tous les moyens de preuves y compris une preuve obtenue d’une manière déloyale.

Auparavant, ce moyen de preuve, en droit civil, était écarté et ne pouvait être utilisé pour faire valoir des droits alors que la charge de la preuve incombe au demandeur et que cette preuve est parfois difficile à obtenir.

Désormais, ce sera possible.

Plusieurs exemples sont cités par la Cour pour apporter une preuve d’une faute de l’employeur ou du salarié :

  • Pour apporter la preuve de cette faute, l’employeur a soumis au juge l’enregistrement sonore d’un entretien au cours duquel le salarié a tenu des propos ayant conduit à sa mise à pied.
    • La Cour de cassation admet que des moyens de preuve déloyaux peuvent être présentés au juge dès lors qu’ils sont indispensables à l’exercice des droits du justiciable. Toutefois, la prise en compte de ces preuves ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse (vie privée, égalité des armes etc.)
  • Alors qu’un salarié avait pris des congés, l’intérimaire, chargé de le remplacer, a utilisé son poste informatique. Le compte Facebook du salarié absent était resté ouvert sur cet ordinateur, laissant l’intérimaire prendre connaissance d’une conversation par messagerie Facebook qui y avait été tenue à son sujet. Dans cette conversation, le salarié absent sous-entendait que la promotion dont avait bénéficié l’intérimaire était liée à son orientation sexuelle et à celle de son supérieur hiérarchique. L’intérimaire a transmis cette conversation à leur employeur. Le salarié ayant tenu ces propos via Facebook a été licencié pour faute grave.
    • En revanche, dans la deuxième affaire, la Cour de cassation considère que les juges n’avaient pas à s’interroger sur la valeur de la preuve provenant de la messagerie Facebook. En effet, il n’est possible de licencier disciplinairement un salarié pour un motif en lien avec sa vie personnelle que si celui-ci constitue un manquement à ses obligations professionnelles

La Cour indique qu’ “Afin de garantir au justiciable son droit d’accès au juge, la Cour de cassation a consacré un droit « à la preuve », c’est-à-dire la possibilité donnée aux parties à un procès de présenter leurs preuves.

Toutefois, la Cour de cassation, dans le souci de garantir l’éthique du débat judiciaire, a fixé des limites à ce principe en consacrant en 2011, par un arrêt d’assemblée plénière, un principe de loyauté dans l’administration de la preuve.

Ainsi, en l’état de la jurisprudence de la Cour de cassation, lorsqu’une preuve est obtenue de manière déloyale, c’est-à-dire lorsqu’elle est recueillie à l’insu d’une personne, grâce à une manœuvre ou à un stratagème, un juge ne peut pas tenir compte de ce type de preuve.

Cas de harcèlement

La preuve en la matière est particulièrement difficile et pourtant indispensable pour actionner en justice.

En matière prud’homale, la preuve est libre et un rapport d’enquête à la suite de révélation de faits de harcèlement peut être produit par l’employeur pour justifier la faute imputée au salarié licencié. La valeur probatoire d’un tel rapport peut être retenue lorsque :

  • le recours à un cabinet externe a été préféré à l’enquête interne afin d’en garantir l’objectivité ;les résultats de l’enquête ont été communiqués à l’inspecteur du travail et au médecin du travail, qui en ont relevé le sérieux et la loyauté ;le rapport d’enquête a été communiqué dans son intégralité au CSE, mais n’a pas été présenté en détail dans le procès-verbal de réunion pour des raisons de confidentialité.
Les attestations produites par la salariée incriminée ne l’exonérant pas de ses agissements dont la réalité est établie par le rapport d’enquête et les attestations produites par l’employeur, les faits qui lui sont reprochés sont établis et compte tenu de leur gravité en raison du comportement toxique de l’intéressée, justifient son licenciement immédiat.

C’est le sens de l’arrêt de la Cour d’Appel d’Agen en novembre 2023 : (CA Agen 28-11-2023 no 22/00645).

Contenu d’une conversation téléphonique

Doivent être admises aux débats les attestations des témoins d’une conversation téléphonique entre un salarié et son supérieur hiérarchique, ce dernier ayant activé le haut parleur de son téléphone à l’insu de son interlocuteur pour que les collaborateurs entendent ses propos menaçants . En effet, le supérieur hiérarchique n’a pas procédé à l’enregistrement de la conversation à l’insu du salarié mais a seulement décidé spontanément d’actionner le haut-parleur de son téléphone portable professionnel alors que l’intéressé était en train de le menacer. Le salarié savait pertinemment que son interlocuteur se trouvait sur les lieux du travail au même titre que les autres membres du personnel et que la conversation était susceptible d’être entendue. Au surplus, la mise en marche du haut-parleur apparaît indispensable à l’exercice du droit à la preuve du supérieur hiérarchique pour démontrer la faute du salarié, elle n’a pas porté atteinte à la vie privée du salarié et apparaît strictement proportionnée au but poursuivi, les propos tenus étant en lien avec la relation hiérarchique existant entre les deux protagonistes

C’est le sens de la décision de la Cour d’Appel de Montpellier du 8 novembre 2023 : (CA Montpellier 8-11-2023 no 21/00875).

En conclusion ?

Même si une preuve déloyale n’est plus d’office irrecevable, les conditions requises par la Cour de cassation, y compris sa chambre sociale, pour qu’elle soit recevable sont très exigeantes : le juge doit d’abord s’interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur et vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient un tel recours.

Il doit ensuite rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié, et doit, enfin, apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi.

(Cass. soc. 8-3-2023 no 21-20.798 FS-D, 21-17.802 FS-B et 21-20.848 FS-B : RJS 5/23 no 235).


Pour l’avocat général Yves Gambert, l’enregistrement clandestin n’était pas indispensable à la preuve de la faute reprochée : face au refus du salarié de fournir les rapports d’activité demandés par l’employeur, l’absence de réponse à une simple mise en demeure aurait suffi à établir la faute grave.

Il faudra donc apprécier la validité de la preuve au regard de son utilité par rapport au but recherché.

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